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La gare de Bâle et les feux rouges dans le Delémont express
 

J’attendais François Bon en gare de Bâle, j’attendais, rêveur, dépouillé de ma vanité première d’organisateur, frivole et aérien (les rencontres littéraires me font planer, je n’y peux rien). J’attendais en haut des escaliers, me remémorant l’incipit du grand livre qu’est Sortie d’usine, quel grand livre me disais-je, quelle force, quelle incarnation des Lettres : « Une gare s’il faut la situer, laquelle n’importe il est tôt, sept heures un peu plus, c’est nuit encore. Avant la gare il y a eu un couloir déjà, lui venant du métro, les gens dans le même sens tout ou presque, qui arrivent de Paris. »

 

C’est un écrivain contemporain, capital, il venait de Paris, et moi j’attendais, imperturbable, la voiture bien garée au parking de la gare, concentré, l’esprit tendu, aiguisé - (on n’a pas de passion exacerbée pour la Littérature impunément me disais-je, un écrivain de cette taille qu’on attend, ça pose son homme de Lettres, des Lettres). Le cœur s’emballait un brin : bon Dieu François Bon, c’est quelqu’un : il est en exergue dans L’Anthologie de la littérature contemporaine française de Dominique Viart entre Bergounioux, son pote, et Emmanuel Carrère. Il a dirigé une collection avec un de tes amis.

 

J’attendais François Bon et le train était à l’heure : on n’est pas à Cergy ni Saint-Pierre-des-Corps, mais à Bâle, en Suisse quand même : «  J’ai vu les trains silencieux les trains noirs qui revenaient de l’Extrême-Orient et qui passaient en fantômes et mon œil comme le fanal d’arrière, court encore derrière ces trains. » 

 

C’est bien lui, là, déboulant des marches, hirsute et dégingandé (une vraie image d’écrivain, juste ce qu’il faut de maudit et d’incertain, de fatal et d’inespéré) : une silhouette reconnaissable entre mille, tranchant l’horizon terne et métallisée, appareil photo en bandoulière, découpée, découpant les costards cravate sombres des banquiers de la ville de bord de Rhin.

 

«  Bonjour François Bon, je suis l’organisateur, bienvenue en Suisse. » 

 

Tout juste le temps d’acheter un chargeur iPhone au kiosque Apple de la gare (un grand spécialiste du numérique, ça s’équipe) et nous voilà encastrés dans ma petite Toyota noire au cœur de Bâle. L’émotion, il faut en parler (je sortais de Daewoo, quelle claque émotionnelle, une voix pour celles et ceux qui n’ont pas les mots pour le dire, cet hymne polyphonique à la dignité bafouée) : cette voix, je l’avais là à côté de moi, sur ma banquette en quelque sorte et plus jamais un rond-point, Plus jamais un carrefour ne comptait pour moi. Et mon passager mitraillait ces ronds-points comme si c’était des paysages, paysages urbains, certes, paysages fer.

 

«  Si tu veux nous irons en aéroplane et nous survolerons le pays de mille lacs, les nuits y sont démesurément longues », je brûlais les feux rouges gracieusement, je les néantisais, plus un seul que je ne voyais sur la route et l’horizon est à nous. Et le flux des paroles s’enchevêtrait, les mots se cumulaient : il allait parler des Rolling Stones, de sa grosse bio, j’avais les rifs électriques de Richard dans la tête, le déhanchement de Mick dans le rétroviseur, j’exultais. 


Bâle-Delémont, plus un seul feu rouge sur la route le « Le broun-roun-roun des roues », Cendrars pour viatique, je t’emmènerai au bout du monde, le portable vissé à l’oreille, conduisant d’une main, la clope dans l’autre, je ne sais plus. 

 

C’était il y a cinq ans et Bon allait être à l’heure, vous dis-je et il le fut. 

 

Conférence-éclair, un flux ininterrompu de paroles, une passion rivée au corps, des yeux fixés sur lui, des phrases, du verbe. Que demande le peuple.

 

Je n’attendais plus François Bon, j’étais aux anges, les feux rouges n’existaient plus.

 

« Seigneur, c’est aujourd’hui le jour de votre Nom

J’ai lu dans un vieux livre la geste de votre Passion. »

Vincent Froté

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Vincent Froté est né à Porrentruy en Suisse en 1958.

Études de lettres puis devient grand voyageur en Inde, Chine, Thaïlande, etc.

Après deux années d’errance, s’établit au Japon où il enseigne le français dans les Écoles Berlitz. Nommé plus tard lecteur à l’Université de Hosei et Keio, y enseigne la grammaire comparée en japonais. Y rencontre son épouse Keino et a un enfant : Léonard.

De retour en Suisse, se métamorphose dans le monde des assurances (syndrome Kafka) et de la finance.

Est actuellement conseiller en prévoyance chez Swiss Life.

Met sur pied un Club littéraire. Organise des conférences à Delémont, Paris et Jérusalem. François Bon fut un de ses invités.

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