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Salut au jardinier

 

Aux États-Unis on pratique le Creative Writing. En France on pratique le no writing. On pratique le writing de mémoires, le writing de thèses, le writing de traductions, le writing de modes d’emploi, le writing de traductions de modes d’emploi, le writing de formules de politesse, le writing de CV. En France on  pourrait mourir la gueule ouverte. On étudie les lettres pour rester en contact avec la source vive mais on n’y plonge pas. Il faut rester au bord à contempler. Ah, que c’est beau, ce petit reflet sur les vaguelettes ! Avez-vous vu la façon dont la lumière éclaire les racines des nénuphars ? J’ai rencontré quelque chose de tout à fait similaire dans un autre étang, seulement là-bas il y avait des grenouilles. C’est une esthétique très singulière. Et ainsi de suite. On parle beaucoup et ça donne encore plus soif. Si l’on n’a pas l’instinct de survie assez développé pour transgresser la règle, on se dessèche lentement au bord de l’eau. Quand l’étudiant est bien sec il devient tout fin et il n’y a plus qu’à le ramasser délicatement et à le passer sous presse pour en faire la matière où seront imprimés les prochains livres des PUF. 

Après il y a un type qui fait tout différemment. Appelons-le le jardinier. Il a plongé dans la fontaine et il en est reparti avec un arrosoir plein qu’il a vidé autour de lui. Il y est retourné, il a rempli et vidé beaucoup d’arrosoirs. En fait depuis il passe son temps à installer des dispositifs d’irrigation pour faire couler l’eau même très loin, dans des endroits où elle n’irait pas toute seule. Quand j’avais une vingtaine d’années, j’ai croisé le chemin du jardinier. Il m’a fait signe avec son arrosoir. Depuis je m’hydrate régulièrement. Grâce à lui j’ai un peu appris à nager. J’ai une petite gourde sur moi et j’en donne aux gens qui me semblent en avoir besoin. Un jour j’irai au bout de la fontaine et je plongerai jusqu’au fond et ce jour-là je serai capable de parler de la couleur de l’eau.

Ana Ressouche

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Ana Ressouche apprend à nager dans les ateliers de François Bon.

Elle publie des textes sur un archipel. Elle aimerait développer des projets d’écriture et de d’irrigation avec d’autres apprentis nageurs. Elle patauge aussi un peu ici.

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