top of page

lirécrire

 

Il y a treize ans, ou un peu plus, à moins que ce ne soit un peu moins, quand me suis glissée dans une vie nouvelle avec Avignon et Internet, j’étais, fors le théâtre, parfaitement inculte, ignorant tout ou presque de ce qui s'était écrit depuis le dix-neuvième siècle, presque en fait depuis le dix-huitième (scolairement de mon temps on s’arrêtait, et cela semblait déjà audacieux, à Verlaine et Rimbaud) – à part quelques découvertes au hasard de mes flâneries à midi dans une des rares librairies proches de mon bureau, découvertes de qualité, chanceuse j’étais et par miracle capable de les reconnaître, comme Butor un peu, Simon un peu davantage, mais pas Beckett hors théâtre, pas mal de Bernhard, beaucoup de Sarraute et un peu moins de Steinbeck – un peu de Robbe-Grillet aussi, d'Echenoz et les Vies Minuscules, la Presqu’île de Gracq, Daewo de François Bon, et puis, si, en incompréhension fascinée et heureuse, les Petits Traités de Quignard, rien de Duras sauf quelques articles, et c’est à peu près tout.

​

Je venais attendre benoîtement la fin. Pour célébrer le plaisir de cette vacance, nouvelle naissance, et la meubler un peu, ai ouvert un petit blog, peinant un peu à le nourrir pour rencontrer mes contemporaines, puisque n’ai pas d'enfant, ni du coup problème avec eux, ne sais pas coudre, à peine faire la cuisine depuis que j'ai dû renoncer aux salades et au poisson cru et pas du tout tricoter, moins encore faire du crochet, et puis il y a eu, ne sais trop comment, un miracle – je pense qu’il a eu lieu par le truchement de Christine Genin – et l’entrée dans un monde où me sentais à la fois bienheureuse, confortable et déplacée, un monde où on écrit, où on lit (et j’ai suivi des pistes, renâclé parfois, insistant ou non pour franchir l'obstacle), où on apprend à lire et écrire, etc., et puis au centre de ce monde la générosité, les boucles, le sourire, l’intelligence de François Bon, et ses colères aussi. Sentir, venant d’horizons différents, une parenté souvent dans le regard sur le monde, les échanges des vases communicants, où me suis calée, presque imposée, pour lesquels avec plus ou moins de tremblement me suis crue capable d'aligner des mots, la jubilation inquiète des ateliers d’écriture en ligne, d'abord ceux de la Bibliothèque universitaire d’Angers, avant les deux – hiver et été – depuis plusieurs années, du tierslivre. M’en est même venue à la longue, pour parfaire la chose, l’audace de m’avouer parfois en silence mon peu de goût pour certaines écritures, en silence puisque je sais depuis que me connais que je suis un très mauvais juge... Et depuis un peu plus de neuf ans, que je me sente ou non capable de suivre, avec quelques encouragements, avec des amitiés nées dans cette nébuleuse que François Bon a entraînée – le pauvre – avec lui, je rends grâce depuis mon antre, avec un petit sourire que vous ne voyez pas, même quand j’éprouve le besoin de m’éloigner un peu, pour revenir aussitôt. 

​

Et comme, Boudiou ! je parle surtout de moi, comme je décide de me défaire de cette manie, je vais y tomber encore pour dire que, plus encore que cet éveil à l’écriture qu’il nous offre, il y a, même en cas de léger désaccord, ou d’interrogation, de ses livres, avec lesquels se partager entre le plaisir de la lecture et l’intérêt tout aussi grand d'un dialogue intérieur... plus encore que les premiers livres (quoique, le plaisir de la reprise de Limite, le second, avec les commentaires, sur tierslivre puis chez Tiers Livre Éditeur, et Un fait divers), Tumulte et ce foisonnement de pistes auquel je reviens de temps à autre, plus que le livre sur les Rolling Stones et les recueils de textes sur les musiciens ou les contemporains, les Conversations avec Keith Richards, Peur, Autobiographie des objets qui est aussi objet d'éveil à l’écriture, et Fragments du dedans, le merveilleux livre sur Proust aussi etc., et puis, en le suivant sur Internet, ses hétéronymes qui s’invitent parfois… Il y a aussi les considérations sur le livre, la catastrophe des désirs suscités par les vidéos des « services de presse »....

​

En fait, pour beaucoup des participants aux ateliers d’écriture, que je salue ici, pour ses élèves et lecteurs, il représente, je crois, un chemin vers une possible incarnation, réussie ou non ce n'est pas le problème, en écrivain. Il a été pour moi quelque chose de plus modeste mais de tout aussi important, un accompagnement, un début de sérénité, la précieuse possibilité parfois, avec un sourire de travers de qui ne veut être dupe, de croire un petit peu en moi.

​

Et suis navrée que la période un peu aboulique que je traverse me rende incapable d’autre chose que ce médiocre effort.

Brigitte Célérier

BC.png

Brigitte Célérier, ou Brigetoun, la petite vieille de plus en plus avignonnaise et encore habitante d’Internet.

bottom of page