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Le fish & chips de Leicester

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« On est à Lodève, dans l’Hérault, sept mille habitants et cent-vingt maisons à vendre. » C’était toute une vie et j’ai rencontré François Bon. Fin des années 90, début 2000. Période « Comédie des revues » à Montpellier, avec la bande à Grèges, Thierry Guichard du Matricule, la revue Quasimodo et les copains qui venaient montrer ce qu’ils avaient fait de revues, à la main, à l’amour, à la colère. J’ai rencontré Bon comme ça, couverture jaune avec bandeau noir sur lequel en lettre jaunes : 

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Je connaissais peu la littérature. J’arrivais dans un monde troublant, celui de Michon, de Toussaint, de PAG. François Bon m’a conduit à Lodève dont il a fait une ville qui compte comme Duras de Tahla, ou Bolano de Santa Teresa.

Je commençais à peine à sentir qu’on peut faire le monde.

Lodève.

On ne passe plus dans Lodève. Pour passer dans Lodève, il faut y aller et qui y va, sinon pour jouer au foot quand on est de La Paillade et qu’on y est obligé par le calendrier du championnat du district de l’Hérault de football… et qu’on s’y bat parce que Lodève c’est des fils de Harkis, des fils de traîtres… ou alors pour faire un atelier d’écriture… faire un livre de ça, laisser au monde ce que c’était, toute une vie à Lodève.

Depuis, je ne longe pas Lodève, je ne la surplombe plus depuis la nationale qui l’évite, sans penser à François Bon. Déjà depuis le Larzac, je sais que je vais plonger sur Lodève et sur les vies du livre jaune. Et puis j’ai lu Prison, « car nous ne savons rien de clair, nous errons ». Et j’ai erré parmi les mots dont je m’approchais avec timidité malgré une belle rencontre avec Régine Detambel et la bande de l’Oulipo.

Et puis j’ai vu Rolling Stones – une biographie, Bob Dylan – une biographie, Rock'n roll – un portrait de Led Zeppelin… J’ai compris qu’on pouvait aller là où on en avait envie, aller ailleurs, toujours, rendre visite à Jack London, aller à Providence pour travailler sur un carnet de 1933, se faire biographe, parler de Keith Richards ou de la mort de John Bonham, « un artiste unique, un immense artiste, étouffé dans son vomi ».

François Bon je le croisais toujours là où mon désir de faire me poussait.

Lui, il faisait. Il écrivait… Je l’avais lu. Je ne l’avais jamais vu.

Et puis je l’ai croisé sur la toile. Sur des ronds-points, dans des trains…

C’est là que j’appris qu’il conversait avec Keith Richards, qu’il avait publié des notes sur les Sex pistols, qu’il avait un site, qu’il était sur Facebook et Twitter, plus tard sur Instagram…

C’était un écrivain qui n’existait pas que sur papier.

Il était dans ma vie virtuelle. Quotidienne.

On a commencé à se parler, via Twitter où nous nous retrouvions souvent le matin, alors que nos TGV ne partaient ni du même endroit ni n’allaient dans la même direction… On s’invitait au bar, on se promettait qu’un jour on boirait un café et je lisais quelques billets sur Tierslivre 

Et puis je suis allé à Leicester avec l’ami Verchère, le philosophe, pour un colloque. J’ai vu François Bon de loin, sur le trottoir d’en face. Nous n’allions pas dans la même direction. Je l’ai appelé. Nous ne nous sommes plus quittés.

Nous avons partagé un fish & chips. Ça tient à peu de choses l’amitié.

Des corps suspendus à un souffle. Des corps qui se croisent et s’arrêtent. Des corps qui lisent. Des corps réels sur lesquels il pose son regard, desquels il nourrit sa curiosité, le corps des jeunes de Cergy, des tatoués et des bodmodés. Les Fictions du corps naissent de ces corps croisés, de son corps qui lit que les mots secouent dont les pensées s’aiguisent.

Son corps-lisant est un poème, une autoroute, un rond-point autour duquel on tourne.

Et la pensée. Vertigineuse. Sur l’écriture et le numérique, la traduction de Goldsmith, YouTube. Les ateliers. L’édition à la demande, l’invention en contrebande.

On a quitté Lodève depuis un moment. C’était toute une vie, 1995.

Internet pointe son nez.

Depuis, avec François, « on est entré dans une zone de choc ».

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Philippe Liotard, tchatout

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