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Bascule

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Les écrivains, on ne les voit qu’à travers ou à côté de leurs livres, une légende, que ce soient les promenades dans les villes, les chambres tapissées de liège ou avec vue sur le fleuve, ce sont des lettres. De l’autre côté de la vitre épaisse, crue blindée, la vie, la tienne, et tes livres où les trouver ? À la bascule du millénaire, on est dans la ville des ruines, dans les combles d’un palais de la Renaissance, l’écran est dans la salle de l’histoire du livre, le premier posé sur la table est une histoire des portulans. On apprend à imbriquer les balises, en pensant à la fois aux cascades de parenthèses du Lisp et à celles du vigneron. Les pages à l’écran ne sont plus tournées mais glissées et la première fois – noir sur blanc comme les plus belles affiches du mois de mai – ce sont les Fleurs. Et qu’est-ce que cela fait de les entendre en les regardant ailleurs que sur le papier ? Puis, chaque jour presque, les mots sans attendre la condensation resserrée du livre après trois ou cinq ans, et la vie par force, même si la chambre et la salle de bains on nous l’épargne, mais l’atelier est grand ouvert, ce qui est lu, ce qui est abandonné, manqué, ce qui se poursuit, et pour la première fois on comprend que les phrases peuvent être tordues par ce que le monde est. On voit comme l’huile imbibe le béton, et la sciure n’y fait rien, mais regarde la pluie qu’elle fait jetée. Les capots sont ouverts pour la première fois. Même les livres ont des moteurs, il faut régler le ralenti, le parallélisme. Et puis l’odeur du chaud, de l’huile, le froid du métal sur les doigts, et la radio au fond toujours allumée et on l’entend parfois seulement. À force de regarder, de prendre les outils et de les reposer sur l’établi, on finit aussi par faire, instructions succinctes et commentaires laconiques, mais le regard est là, le respect c’est d’abord du silence. Et si on doit apprendre tout seul, on retiendra quand même qu’il faut chercher dans les vieux cartons, regarder derrière sans tourner la tête, prendre tout ce qui arrive. Tu dois faire ta journée, il y aura des mots, tu auras trouvé forcément, si tu arrêtes de rêver aux livres. Des maîtres on en a tant et depuis le fond de la nuit, mais des grands frères, finalement peu.

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Tristan Mat

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 http://www.tristanmat.net/

Suit les publications en ligne de François Bon depuis 1999. A participé à divers ateliers en ligne.

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