34/05/19
Artalburite#10 – Je suis dans le jardin. Je jardine. La terre au pied des arbres fruitiers a besoin d’être retournée, alors je la gratte à l’aide d’une griffe en métal rouge. Je suis dans mon lit, mon sommeil est haché par un panneau lumineux qui par intermittence allume l’inscription FBONTEUR en lettres rouges sur fond noir. Je me réveille en sueur. Je sais que je dois trouver une idée. C’est pour bientôt. Je suis dans le jardin, accroupie près de la terre retournée. Je ressens un chatouillis sur l’épaule droite. Je gratte mon épaule droite avec ma main gauche. Ma main droite trouve un truc très bizarre qui est en train d’essayer de se glisser sous mon t-shirt, par la manche. La sensation est des plus déplaisantes. Il s’agit d’un très petit homme, à peu près de la taille d’un enfant grenouille, vêtu d’un costume sombre et de minuscules chaussures en cuir marron. Il s’est pris le pied dans un pli de mon t-shirt et tente désespérément de s’en dépêtrer. Il tremble comme un insecte allongé sur le dos. Je l’attrape par un pied et le secoue, tête en bas, pendant quelques minutes. Il pousse des tas de petits cris. C’est amusant. Je le secoue encore un peu, mais j’ai du travail, je résiste à la tentation de jouer plus longtemps. Je le jette un peu plus loin, je l’entends qui geint et se glisse sous un buisson bien dense. Je n’ai pas pour habitude d’éliminer les bêtes du jardin. Je suis dans mon lit, parfaitement réveillée maintenant. FBONTEUR a cessé de clignoter mais je ne sais toujours pas ce que je vais faire. Je veux écrire le Livre des Gestes. Je continue à griffer la terre durcie sous les arbres. J’entends le portail métallique se refermer bruyamment. François Bon apparaît, Je t’ai apporté un clafoutis. Je lui rappelle qu’on avait parlé d’un taboulé, pas d’un clafoutis. Il me rétorque que, servi avec des merguez, c’est tout aussi délicieux. – Quand même, ce n’est pas la même chose. – Tsss, ça fait presque le même bruit : TA-BOU-LÉ ! CLA-FOU-TIS ! TA-BOU-LÉ ! CLA-FOU-TIS ! Maintenant François Bon crie TABOULÉ ! CLAFOUTIS ! en sautant partout dans le jardin. Je ris, même si la terre est de nouveau battue sous ses godasses, tant pis, c’est tellement drôle. Je continue à gratter, j’attends qu’il se calme. Je me gratte entre les omoplates, je sens quelque chose qui grimpe le long de ma nuque. François Bon dit Tu as un Cron derrière l’oreille ! Revoilà l’énarque minuscule et ses chaussures marron. J’essaye de l’attraper, il s’échappe en courant, progresse avec difficulté dans la terre meuble, Tu parles, avec ses chaussures de ville. François Bon soulève prestement son pied droit et l’abat sans hésitation sur le petit Cron. Puis il relève lentement sa semelle, on voit apparaître un escargot écrasé, sans sa coquille. François Bon arbore un large sourire, un peu inquiétant tout de même. Nous trinquons, Longue vie à Gertrude Stein. Dans le verre de François Bon, il y a Pierre Barrault, qui me fait un petit signe discret de la main. Je suis dans le jardin. Affalée dans un grand fauteuil, je partage le clafoutis avec Pierre Barrault. Je suis dans le fauteuil. Affalée dans un grand jardin, je déguste un taboulé avec Jean-François Lyotard. Installés dans de grands fauteuils, au jardin, Pierre Barrault et moi mangeons le clafoutis en buvant une tisane. Dans la tasse de Pierre Barrault, j’aperçois François Bon qui barbote en criant Elle est bien chaude ! Tout ce jardinage m’a fatiguée, et le clafoutis, je vais faire la sieste. J’allume mon ordinateur dans l’espoir d’y trouver un petite berceuse apaisante. Là, François Bon apparaît sur l’écran, il lit un texte de Blaise Cendrars – ou bien est-ce Aragon ? – puis : Allez à vous (doigt pointé vers moi) À demain la suite (air malicieux). Je suis à mon second bureau, celui pour écrire. Je suis bien réveillée. J’ai rangé Lyotard et j’ai rangé L’aide à l’emploi. Les perruches sont paisibles, dans l’arbre, en face de la maison. Je suis guérie. Il n’y a personne dans ma tisane. J’écris : le Livre des Gestes.
Juliette Cortese
Juliette Cortese, aficionada des Ateliers du Tiers Livre.